"Préparer un film comme une bataille" Bresson

Publié le par Arnaud

La première fois que j’ai entendu le nom « Jean-Luc Godard », il était tout près de l'expression « Nouvelle Vague ». Et la première fois que j’avais un numéro des Cahiers entre les mains, on m’a précisé « Eux, ils aiment beaucoup la Nouvelle Vague », et moi de répondre « Mais ce cinéma date d’une quarantaine d’années, il n’a rien de nouveau ». Je découvrais toute cette période d’un coup d’un seul, et les plus grands noms s’inscrivaient en moi : Truffaut, Rohmer, Rivette… Justes des noms, pas encore des films et encore moins des écrits, pour moi ce n’était qu’une bande de cinéastes d’une même époque qu’on avait mis côte à côte car j’imaginais qu’ils avaient les mêmes aspirations à vouloir faire du cinéma ou que leurs films se ressemblaient, les liens étaient forts. Petit à petit, j’ai vu, j’ai lu, et j’ai commencé à appréhender (plutôt que comprendre) cette période du cinéma français. Encore aujourd’hui j’aurais bien du mal à disserter sur la Nouvelle Vague. Il m’arrive quelquefois de ne pas savoir écrire un mot sur un film pour une raison qui justement exclue toute raison, en ce sens que la vision d’un film fait parfois naître en moi une telle passion qu’écrire dessus m’est tout simplement inconcevable, impossible. Usons de la formule : je ne sais pas par quel bout commencer. Et c’est bien là une des complexités du travail du critique, prendre le stylo peu de temps après la projection, savoir articuler une pensée dans l’immédiat. Je n’ose alors vous faire part de mon incapacité à savoir parler d’un film après la projection – au contraire, me prend l’envie soudaine de trouver le cinéaste pour l’interroger, en savoir plus. Inutile de préciser qu’en dehors des avant-premières ou séances spéciales, il m’est impossible de le faire, et c’est pourquoi les critiques et entretiens sont un plaisir à lire. Et voilà pourquoi aussi il est plus aisé de parler d'un film qu'on n'aime absolument pas tant on reste extérieur tout le long de la projection à la diégèse, et qu'on se focalise sur tel ou tel aspect technique déplorable.

 
Louis Malle : "Je préfère quand le spectateur sort avec des questions plutôt qu'avec des réponses". Phrase à mon avis fondamentale quand on aime le cinéma et d'une pertinence inouïe.

Refermons cette parenthèse bien trop longue pour revenir quelque peu sur Godard. Lorsque j’ai vu pour la première fois un de ses films, ce fut la déception qui régnait en moi. C'était A bout de souffle et il n’avait rien d’un film novateur… Et j’ai d’ailleurs appris lors d’une interview d’Alain Bergala qu’il avait sensiblement reçu le film de la même manière. C’est après une déception que Bergala est devenu ce que l’on sait à propos de Godard – comme quoi, rien n’est perdu ! Blague à part, Made in USA fut autrement plus passionnant qu’une déception, c’était une incompréhension. La déception forcément implique un éloignement quant au film, même si c’est souvent (et je pense que ce fut le cas pour A bout de souffle) l’attente bien trop haute qu’on se crée qui est la cause de la déception plus que le film en lui-même, tandis que l’incompréhension donne envie de percer le mystère ou la complexité, l’ésotérisme, pour cerner, assimiler, et digérer. Et il y a quelques jours, j’ai revu Made in USA (environ deux ans après donc). Autant dire que ce n’est ni une déception, ni une incompréhension, mais un enchantement. Pop art, Rolling Stones, Walt Disney, Bleu Blanc Rouge, Barman, Mai 68, Langage, Marianne Faithfull, Karina, Léaud, Communisme, Regard caméra, A-plats, Couleurs, Humphrey Bogart, Hollywood. Souvent j’écris une liste de mots qui me viennent à l’esprit une fois le film terminé, et voilà la liste de Made in USA. Ce titre est d'ailleurs en parfaite adéquation avec le pop-art (Wharhol et Lichtenstein en tête) : critique de la consommation de masse au moyen de cet art reproductible, manufacturé pourrait-on dire. Il s’agit d'un film que j’aime particulièrement chez Godard, et j’ai pris notamment conscience du travail sur la musique, ce que je n’avais quasiment pas remarqué je crois lors de la première vision. Il est d’ailleurs étonnant de voir comment sont utilisées les musiques dans les films de Godard, toujours avec une précision extrême, c’est un vrai travail de compositeur, cette alliance entre les plans et la musique, agencement méticuleux. Surtout que la grande, l’immense majorité des cinéastes – disons français – utilisent la musique à outrance pour combler un manque évident soit de scénario, soit dans le plan même. Le rôle de la musique est évidemment essentiel, et j’y reviendrais un autre jour certainement en ayant recours à des exemples précis (conseil que je donne autant à vous qu’à moi-même : lire Michel Chion).

J’aurais pu écrire sur la Nouvelle Vague et ce que j’en sais aujourd’hui mais d’autres l’ont fait mieux que moi et surtout il me manque encore certaines filmographies à compléter, une réflexion à nourrir. Je dirais simplement pour conclure cet article que les films de la Nouvelle Vague, aussi différents soient-ils, m’apportent une jouissance cinématographique extrême, et qu’au-delà d’une lubie grossière, c’est un véritable amour que j’éprouve pour ce cinéma riche et passionnant.





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F
Texte vrai, écrit avec sincérité ça se sent. Comment faire autrement ? Peut-on parler de la Nouvelle Vague, mouvement de jeunesse et gorgé de fraicheur, sans faire appel aux affects ? Difficile.<br /> J'attends un prochain article qui approfondirait encore ton goût certain pour la Nouvelle Vague (de Godard à Garrel).
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A
<br /> <br /> Merci pour ton commentaire. Oui la sincérité est importante et c'est d'ailleurs sur ce genre d'espace sur internet qu'on peut s'exprimer avec une liberté folle. Alors je prends le risque de me<br /> perdre dans les abysses interminables du Net. C'est drôle que tu parles de Garrel car je me rendais compte il y a peu que je n'avais jamais écris sur ses films, sûrement à cause justement de<br /> l'immense admiration que j'ai pour son cinéma. Prochainement peut-être.<br /> <br /> <br /> <br />